Les risques psycho-sociaux (RPS), qu’ils résultent d’épuisement professionnel, de situations de harcèlement ou de souffrance au travail, ont longtemps constitué un angle mort du milieu culturel. Une sorte de déni collectif s’imposait: puisque ce métier est fait avec passion, il ne peut être à l’endroit de la maltraitance, du mal-être. Les humeurs et coups d’éclat faisaient partie du métier, les coups de fatigue et de stress liés aux horaires variables, aux surcharges ponctuelles, étaient une obligation de ce métier d’adrénaline. Pourtant, les remontées de terrain et témoignages, qu’ils proviennent des psychologues, des médecins du travail, des syndicats, des équipes dirigeantes ou des salariés, l’attestent: le monde des arts et de la culture n’échappe en rien à ces risques liés à une organisation du travail défaillante ou aux relations professionnelles et interpersonnelles conflictuelles. Le milieu culturel présente même quelques facteurs de risque qui lui sont très spécifiques : précarité des contrats, multiplicité des tâches, taille des structures, plutôt petites, aux horaires atypiques, aux frontières poreuses entre la vie professionnelle et personnelle, au surinvestissement symbolique du travail.
La crise sanitaire qui a mis la culture à l’arrêt, re-questionnant le sens même de ces métiers, a accentué certains risques déjà présents. Les cas de dépressions, d’épuisements professionnels, de harcèlement ou des tendances à l’isolement, se sont multipliés. Car comment trouver du sens à ses missions lorsque le lien avec le public est empêché ? Comment rester motivés en travaillant seul chez soi alors qu’on a choisi un métier du lien?
Ce dossier de L’Affût vient éclairer, sans faux semblant ni tabou, cette multitude de risques psycho-sociaux, souvent invisibles ou latents, qui guettent les équipes, techniques, artistiques, de direction ou administratives, dans toute la diversité de leurs métiers et de leurs fonctions.
Psychologues, consultants, médecins du travail, apportent leur expertise sur les facteurs de risques et symptômes mais pointent aussi l’importance de la communication, de la précision des tâches et des emplois du temps, des espaces d’écoute et d’attention, pour faire acte de prévention. Le Document unique de prévention des risques professionnels, une obligation pour toute entreprise employeuse, constitue par exemple un formidable outil de mise à plat collective et de plan d’action, nous rappelle Yann Hilaire (p. 13). Des cellules d’écoute et d’accompagnement psychique, juridique (celles d’Audiens (p. 9) ou plus localement du Pôle Aliénor à Poitiers (p. 14)), se multiplient pour envoyer le message aux épuisés du travail, aux étudiants surmenés, aux managers débordés, aux victimes de harcèlement, qu’une écoute est possible, et qu’aucune situation de dysfonctionnement n’est une fatalité.
Un an après le début de la crise sanitaire, artistes, chargé·e·s de production, technicien·n·es et directrice témoignent des coups portés au moral et au sens même de leur métier, mais rapportent aussi les mille et une façons qu’ils ont eu de traverser cette période sans trop souffrir, grâce aux solidarités interprofessionnelles ou à de nouvelles manières d’établir des liens avec les publics ou entre les équipes.
Ce dossier rappelle que faire face aux RPS, c’est avant tout se poser la question de prendre soin des équipes et des artistes, mais aussi des managers, en première ligne pendant cette année de crise faite d’imprévu et de soubresauts, et souvent bien peu enclins à se préoccuper de leur propre santé.