Argument :
« Accusée de favoriser une « culture de l’excuse », raillée pour son prétendu manque de scientificité ou réduite à un « sociologisme » honni, la sociologie continue de déclencher régulièrement les sarcasmes de tous ceux qui voudraient la réduire au silence pour mieux asseoir et étendre leur(s) pouvoir(s). En prenant pour thème « Sociologie des pouvoirs, pouvoirs de la sociologie », le congrès de l’Association française de sociologie qui se tiendra à Amiens en juillet 2017 repose au contraire sur l’idée que le (la) sociologue est d’abord un(e) « chasseur(se) de mythes », selon l’expression de Norbert Elias. Or, parmi ceux-ci, l’un des plus puissants est peut-être celui qui fait de l’ordre social un ensemble de données à la fois naturelles et légitimes : les pouvoirs se présentent ainsi le plus souvent comme neutres et leurs logiques s’affichent comme spontanément justes.
Alors même que les inégalités sociales de toutes sortes se cumulent et souvent s’accroissent, le rôle de la sociologie est ainsi plus que jamais de découvrir les processus par lesquels divers pouvoirs parviennent à les légitimer, voire à les renforcer, cela tout en préservant les apparences de la neutralité et de l’universalité.
Le congrès de l’AFS permettra avant tout de faire le point sur l’état des recherches sociologiques menées en France et ailleurs dans le monde, visant à analyser les fondements des pouvoirs sous toutes leurs formes, à diverses échelles, du niveau le plus « micro » au plus « macro », et dans divers contextes. Elles peuvent porter sur leur histoire, leur mode de fonctionnement, leur étendue et leurs limites, ce qui les renforce et ce qui les fragilise, ce qui les construit comme ce qui peut les renverser.
Il s’agira aussi de montrer en quoi les outils et les méthodes de la sociologie continuent dans la pratique quotidienne de la recherche d’interroger les fondements de nos sociétés, et tout particulièrement en quoi ils renouvellent la connaissance des actions, des discours, des dispositifs qui permettent de les « gouverner » et de les reproduire, mais aussi de les changer : pouvoirs politiques bien sûr, mais aussi économique, médiatique, culturel, académique, religieux, familial, etc.
Dans chaque cas, la sociologie met en œuvre des démarches qui lui sont propres, mobilise des outils théoriques et empiriques originaux, produit un ensemble de résultats cumulatifs qui sont susceptibles de nourrir le débat démocratique en se fondant sur des raisonnements et des faits, et en rompant avec les représentations idéologiques diverses qui dominent l’espace public.
Indépendante de tout pouvoir, la sociologie peut ainsi constituer en elle-même une forme de « contre-pouvoir », mais il s’agira aussi de discuter des conditions qui rendent possible l’existence de celui-ci, d’en identifier la nature, le fondement, les conséquences possibles et souhaitables : quels sont, finalement, les « pouvoirs » de la sociologie ? S’agit-il seulement de contribuer à la connaissance de la réalité (dans sa dimension proprement sociale), ce à quoi semble parfois se résumer sa raison d’être, ou la sociologie peut-elle aussi, et à quelles conditions, participer à la dynamique de changement des pouvoirs et de l’ordre social ? Si elle doit permettre de « comprendre le monde », en adoptant sur lui un regard scientifique, peut-elle également contribuer à le « transformer » ? Si c’est le cas, comment peut-elle tirer parti de ses résultats, de ses théories ou de ses méthodes pour exercer des effets, et lesquels ?
Telles sont les questions auxquelles le congrès 2017 de l’AFS se donne pour tâche de commencer à répondre, en appelant pour cela les sociologues à la mobilisation !
Pour ouvrir ce congrès, nous avons le plaisir et l’honneur d’accueillir deux conférenciers d’exception:
– Patrick Boucheron, Professeur au collège de France, titulaire de la chaire « Histoire des pouvoirs en Europe Occidentale (XIIIe- XVIe siècles) »
– Beverley Skeggs, Professeur de Sociologie à l’Université Goldsmiths de Londres »